À l’heure où le difficile travail des soignants est, avec raison, sur toutes les lèvres, d’autres acteurs de terrain méritent également toute notre attention: les éducateurs, animateurs et autres encadrants des structures d’aide et de protection de l’enfance et la jeunesse. Pour ces travailleurs et les jeunes dont ils s’occupent, le confinement exerce une pression difficilement gérable.
Le confinement est difficile avec deux enfants ? Imaginez dans une maison de 15 enfants placés, âgés de 2 à 18 ans. Pour ces institutions d’accueil résidentiel, l’annonce du confinement a été terrible et sa prolongation récente tout autant. Toutes ces structures, qu’elles soient des pouponnières[1] ou des maisons d’accueil et d’hébergement pour enfants et jeunes[2], ont notamment pour mission d’accueillir des enfants qui ne peuvent pas ou plus être pleinement pris en charge par leur famille.
Étant donné qu’elles constituent un vrai milieu de vie pour les enfants, qui y résident 24 h/24, le télétravail est impossible. Jacques Devaux, Président du Foyer Saint Augustin, explique : « Le SRG doit fonctionner à temps plein en surcapacité car les enfants sont présents en permanence, eux qui, en temps normal, sont scolarisés en semaine et qui, durant les vacances, partent, au moins en partie, en stages et camps. Cela crée une surcharge de travail pour l’équipe d’éducateurs. »
Quelques institutions ont engagé du personnel supplémentaire sur fonds propres. D’autres n’en étaient pas capables financièrement et ont donc parfois fait appel à des bénévoles ou ont confié les enfants aux membres du personnel. C’est le cas de la pouponnière les Cerfs-volants, où tous les enfants sont placés chez un membre du personnel. Une situation également difficile à vivre pour les parents, dont les visites sont interdites. « Pour certains d’entre eux, c’est très compliqué d’imaginer que leur enfant est dans une autre famille. Mais nous n’avions pas le choix » ajoute Alain Vogel, le directeur.[3]
Quelques institutions ont dû prendre des mesures plus radicales : la formation d’équipes d’éducateurs travaillant soit une semaine sans s’arrêter, soit 2x24h non-stop. Cela évite les échanges trop fréquents d’éducateurs et leur permet aussi de disposer de semaines ou journées complètes de confinement avec leur propre famille.
Les maisons de jeunes ou de quartier innovent aussi !
La plupart des missions d’accompagnement à domicile ne pouvant plus être assurées, le suivi des familles se fait alors par téléphone ou vidéo chat. Mais trop souvent, les familles qui auraient le plus besoin de soutien n’ont pas d’accès aux outils numériques. La crise augmente les inégalités, et la fracture numérique ne fait pas exception.
C’est la même situation pour les travailleurs jeunesse au sein des services d’Aide en Milieu Ouvert, des Maisons de Jeunes ou Ecoles de Devoirs. Jeux et activités en ligne, soutien moral et scolaire, permanences par téléphone… heureusement, les idées ne manquent pas pour rester en contact avec les familles. Toutefois, comme l’explique Assetou Elabo, directrice de l’AMO Atouts Jeunes, « le confinement est en contradiction avec le travail sur le terrain, et le restera quelle que soit la mise en place de projets numériques ».
Protéger les jeunes et rassurer les professionnels
Partout, la crise du Covid-19 laisse apparaître le manque de personnel et les conditions difficiles dans lesquelles ils travaillent. La pandémie effraie les enfants, mais également certains professionnels. Beaucoup se posent des questions quant à leur propre protection par rapport au virus, et le manque de matériel de protection (gel, masque, gants…) ne va pas en faveur d’un apaisement, comme nous l’explique Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant : « La protection est effectivement très limite et, à la longue, on voit bien que les travailleurs sociaux se fatiguent et sont inquiets comme tout le monde. »[4]
En outre, pour les jeunes bénéficiaires, enfants et adolescents aux parcours de vie complexes, la situation réactive leur angoisse d’abandon. En effet, ils ont perdu le lien affectif avec leurs éducateurs référents habituels, leur famille relais ou leurs parents. Le suivi psychologique habituel doit donc également intégrer cette nouvelle difficulté.
Pour les jeunes confinés en famille, la situation n’est pas simple non plus. « Nous accompagnons des jeunes et des familles souvent fragilisés et en tension relationnelle, explique la coordinatrice d’un service d’accompagnement. Le confinement leur demande une grande adaptation de leurs habitudes quotidiennes et relationnelles tout en maintenant des repères de vie et éducatifs. »
Et les loisirs des jeunes, on y pense ?
Au sein des centres notamment, les jeunes ne peuvent pas être confinés dans leur chambre toute la journée et bénéficient de certaines activités… surtout que l’école commence à leur manquer, et spécialement le contact avec leurs amis et leurs proches.
L’important est de garder la motivation des jeunes intacte. Leurs journées sont donc structurées entre périodes scolaires et activités de loisirs sur site afin de leur donner un rythme à suivre. Les éducateurs font preuve de créativité afin de renouveler les animations chaque jour, en intérieur et extérieur.[5]
En manque de tout, mais surtout de câlins
Avec l’augmentation de la charge de travail, ainsi que l’absence de certains travailleurs malades et confinés, le manque de personnel se fait sentir et plusieurs travailleurs relaient le besoin d’avoir des réponses claires du gouvernement quant aux obligations du secteur, mais également « un soutien externe qui permettrait de travailler, non sur l’angoisse mais, sur le sens de sa fonction et du travail réalisé, dans une dynamique également citoyenne », comme le confie une directrice d’un centre.
De plus, la plupart des services d’aide sont en recherche de matériel de sport et de bricolages afin d’occuper les enfants ; mais également d’outils informatiques en bon état afin de leur permettre de poursuivre leur scolarité en ligne et de maintenir le lien avec leurs familles.
C’est en effet sur le plan affectif que c’est le plus compliqué. Pour ces jeunes déjà cabossés par la vie, le manque de contact physique et de câlins est très difficile à vivre[6], d’autant plus dans ce climat de stress et d’incertitude… Pour certains enfants, cela fait plus d’un mois qu’ils n’ont plus pu voir leurs parents.
L’après-confinement : entre inquiétude et espoir
Partout en Europe, les acteurs de l’aide à l’enfance sont inquiets des effets du confinement. Ils s’interrogent sur une possible recrudescence des maltraitances au sein des familles. De la même manière que les associations venant en aide aux victimes de violences conjugales, les professionnels de l’enfance craignent une dégradation des situations, comme le souligne Valentine d’Udekem, la coordinatrice de la fédération des SAAF, les services d’accompagnement en accueil familial : « Le problème, c’est qu’aujourd’hui, le contexte de confinement rend les familles invisibles. Généralement, ce sont les écoles et les équipes professionnelles du SAJ ou du SPJ qui repèrent si les enfants sont maltraités. Mais comme actuellement les écoles sont fermées et les équipes de l’aide à la jeunesse doivent télétravailler, c’est plus compliqué d’identifier le danger. Nous craignons l’après-confinement, nous craignons de découvrir de nouvelles situations très graves. »[7]
D’autant plus que les structures capables d’assurer le suivi de ces situations sont en pause forcée, ne pouvant gérer à distance, ou fonctionnent quasi à la limite de la capacité humaine : « Il est grand temps de faire savoir qu’au sein des Services Résidentiels Généraux (SRG), comme dans tout le secteur « humain » (ou non marchand) de notre société, il faudrait disposer de plus de personnel d’encadrement en général. C’est en temps de crise que l’on s’en aperçoit. C’est après la crise qu’il faudra y remédier » soutient encore Jacques Devaux, Président du Foyer Saint Augustin.
Comme dans toute situation de crise, les inégalités se creusent encore plus, et c’est aujourd’hui le cas au sein du secteur, que ce soit pour les travailleurs sociaux (heures supplémentaires, bénévolat, flexibilité, stress, exposition au virus, etc.) ou pour les jeunes défavorisés (manque affectif, angoisses d’abandon, pas d’accès à l’extérieur ou vécu de situation abusive, etc.). Tout le secteur aura encore besoin de nombreuses forces vives pour résister à la prolongation du confinement et pallier à la fermeture des écoles. Certes, nous saluons les belles initiatives de solidarité, mais il faudra surtout unir nos forces pour trouver des solutions structurelles après la crise.
C’est certain, il y a eu un « avant » coronavirus, « il y aura un « après » », comme le disait Béatrice Delvaux. « Nous devons déjà le rêver, l’imaginer. Et « après », nous ferons mieux. Nous nous attaquerons aux bugs que nous avons aussi notés durant ce confinement. »[8]
Sophie Vanderheyden, en collaboration avec Camille Gilissen
Chargées de projets et de communication – Arc-en-Ciel asbl