Carte blanche de la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant, publié le 05/07 dans La Libre.
L’enfant est un être humain comme l’adulte. Il a droit au même respect que tout autre être humain. En tant qu’adultes, accepterions-nous que nos droits et les principes qui les guident soient ainsi balayés à cause de comportements isolés, individualistes ou égoïstes ? Non.
“Si l’enfant roi existe, il faut le considérer comme une victime d’une négligence parentale, une comète propulsée à travers l’espace qui recherche des barrières que personne ne parvient à lui mettre” . Samuel Dock, psychologue clinicien
Il y a quelques jours les professionnel.le.s et spécialistes du secteur de l’enfance et des droits de l’enfant, signataires de cette carte blanche, découvraient avec stupeur le contenu d’articles de presse rédigés à partir d’un rapport universitaire faisant de nombreux rapprochements entre certains principes juridiques issus du droit international des droits humains et d’autres relevant de la psychopédagogie (la “parentalité exclusivement positive”). Ce sentiment s’est accentué en découvrant les raccourcis empruntés et l’interprétation erronée de notions fondamentales du cadre des droits de l’enfant*, dont celle de l’intérêt supérieur de l’enfant. Car si ces grands écarts sont dangereux, ils le sont d’autant plus venant d’universitaires dont le seul titre sert de validation pour une bonne partie du grand public, incluant les parents et les professionnel.le.s de l’enfance.
Il est inacceptable que les efforts déployés par le secteur des droits de l’enfant depuis de longues années en matière d’éducation et de formation aux droits de l’enfant soient balayés par une telle campagne médiatique.
Rappelons-le, régulièrement, les rapports des experts des droits de l’enfant soulignent les nombreuses violations de droits que subissent les enfants : précarité, violences, discriminations, abus en tous genres.
Les droits de l’enfant sont guidés par plusieurs principes clés. Trois d’entre eux semblent devoir être aujourd’hui clarifiés.
L’intérêt supérieur de l’enfant
Dans l’article scientifique, et dans la communication qui l’a entouré, un dangereux pont a été établi entre le principe “d’intérêt supérieur de l’enfant” et le “culte de l’enfant”. A ce sujet, il est important de souligner que l’absence de cadre et de limites est le fait d’adultes qui interprètent erronément la notion d’intérêt supérieur de l’enfant et de surcroît ne distinguent pas besoins et désirs. C’est le piège que constitue la parentalité exclusivement positive, et qui en ce sens ne respecte pas l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’apprentissage de la limite est fondamental dans la constitution de la personnalité. Bénéficier de cet apprentissage est un droit de l’enfant tout comme est un droit de l’enfant le fait que cet apprentissage ne prenne pas une forme violente. Il est essentiel de le rappeler à l’heure où la Belgique peine à légiférer pour interdire les violences dites éducatives ordinaires.
Il est important d’envisager les pratiques, qu’elles soient parentales, éducatives ou pédagogiques, dans une juste mesure afin qu’elles élèvent les enfants. Elles doivent lui permettre de développer son plein potentiel, dans un cadre bienveillant, mais aussi de trouver sa place et de participer (non, pas uniquement lorsqu’il sera adulte !) au sein de la société. C’est ça, faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale.
De plus, faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération primordiale n’implique pas de nier les intérêts des adultes, qu’il s’agisse de parents ou de professionnel.le.s. La balance des intérêts doit simplement être faite avec une attention accrue pour l’enfant compte tenu de sa plus grande vulnérabilité.
La participation
Sans grande surprise nous avons observé que les enfants – les premiers concernés – n’ont pas été associés à la réflexion universitaire.
L’article scientifique – décidément pas très “child rights friendly” – considère même que le droit de l’enfant d’être entendu dans toute prise de décision le concernant est une des trois dimensions contribuant au phénomène du “culte de l’enfant”. Or, dans le cadre des droits de l’enfant, le droit à la participation constitue un levier incontestable contribuant au respect de tous les autres droits de l’enfant. Précision utile : si l’avis de l’enfant doit être pris en considération par les adultes (pour l’éclairer par exemple sur ce qui constitue à son sens son intérêt supérieur), cela ne signifie pas que son avis est LA décision à prendre dans son intérêt. Entendre et écouter les enfants (qui souhaitent s’exprimer) mène à de meilleures décisions.
L’éducation et la formation aux droits de l’enfant
Plus que jamais, la mauvaise compréhension et la méconnaissance des droits de l’enfant risquent de leur faire faire un (grand) pas en arrière. L’éducation aux droits de l’enfant invite tant les enfants que les adultes – à se décentrer, à quitter leur particularité, à comprendre la réciprocité des droits pour adopter un point de vue général voire universel. Sans aucun paradoxe, l’éducation et la formation aux droits de l’enfant est une solution aux inquiétudes mentionnées par les auteurs selon lesquelles les notions d’intérêt supérieur de l’enfant et de participation de l’enfant (composant leur concept du culte de l’enfant) pourraient créer de “futurs” citoyens individualistes, égocentriques et représentant un danger pour nos sociétés démocratiques.
Quant au terme d’enfant-roi préféré par des médias à celui de ‘culte de l’enfant’ utilisé par les chercheurs de l’UCLouvain, il s’agit d’un nouveau raccourci et concept “buzzant”, qu’une partie du grand public aura vite fait d’intégrer. Ce concept est par ailleurs plus complexe qu’on ne le croit, l’enfant-roi étant aussi en souffrance.
L’enfant est un être humain comme l’adulte. Il a droit au même respect que tout autre être humain. En tant qu’adultes, accepterions-nous que nos droits et les principes qui les guident soient ainsi balayés à cause de comportements isolés, individualistes ou égoïstes ? Non. Les droits humains ont-ils généré des adultes dangereux pour la démocratie ? Non.
Les droits de l’enfant non plus.
* Le cadre des droits de l’enfant est consacré dans la Convention des Nations unies relatives aux droits de l’enfant. Cette convention a été signée le 20 novembre 1989, a été ratifiée par tous les Etats du monde sauf les Etats-Unis et est obligatoire en Belgique depuis 1992. En 2008, les principes clés de la Convention ont été intégrés dans la Constitution belge.
La Coordination des ONG pour les droits de l’enfant rassemble 17 associations membres : Amnesty International Belgique francophone, Arc-en-Ciel ASBL, ATD Quart Monde Jeunesse Wallonie-Bruxelles, BADJE (Bruxelles Accueil et Développement pour la Jeunesse et l’Enfance), Défense des Enfants International (DEI) – Belgique, ECPAT Belgique, Fédération des Équipes SOS Enfants, Forum des Jeunes, GAMS Belgique, Le Forum – Bruxelles contre les inégalités, Ligue des droits humains, Ligue des familles, Plan International Belgique, Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, Service droit des jeunes Bruxelles, SOS Villages d’Enfants, UNICEF Belgique.